Q : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
R : Bonjour, je m’appelle Julien, j’ai 39 ans et j’habite au Japon depuis 12 ans maintenant avec ma femme Yuko. Nous avons deux enfants, Émilie et Louis, et nous habitons à la campagne sur l’île de Shikoku, la plus petite des quatre îles principales de l’archipel. Nous nous sommes installés ici pour y élever nos enfants, et pour être près de la famille de mon épouse (c’est sa région natale).
Enfant unique, j’ai passé mon enfance dans la petite ville d’Aix les bains, en HLM, avec mes parents, enfin surtout ma mère, puisque mon père travaillait à l’étranger. Son travail d’infirmière, ainsi que celui de mon père ont fait que j’ai vécu presque dix ans dans la famille d’une nourrice qui habitait dans le même immeuble, ma mère me déposant le matin à 6 heures et me récupérant le soir vers 20 heures.
Rien de notable dans ma scolarité, si ce n’est que j’ai redoublé la seconde. Cette année était celle de la sortie de la Playstation en France et les dégâts furent terribles ! Haha.
Ne sachant pas vraiment quoi faire à la sortie du lycée, j’ai décidé de suivre bon nombre de mes camarades à l’université du coin et d’y étudier plus en profondeur les langues, anglais et espagnol, en section LEA.
N’ayant pas vraiment d’intérêt à avoir de l’espagnol dans ma vie, j’ai décidé de changer d’université, tout en restant dans la même section, mais pour cette fois étudier le japonais. Je suis donc parti de Savoie pour m’installer à Lyon et étudier à l’université Lyon 3 pendant cinq ans.
Q : Pourquoi le japonais ?
R : Comme bon nombre de personnes de ma génération, nous avons été élevés au club Dorothée qui retransmettait tous les dessins animés japonais possibles et imaginables de l’époque. Puis dans les années 2000, l’arrivée et le boom des mangas en France n’a fait qu’enfoncer le clou et m’a donné l’envie d’en connaître plus sur ce pays et cette culture.
J’ai à l’époque du lycée été membre de l’association Chambéry France Japon, afin de m’y faire des amis japonais, d’y apprendre le japonais, le pratiquer et venir en aide aux étudiants japonais qui venaient apprendre le français.
Q : Quel est votre parcours ?
R : Des cours particuliers avec la directrice, japonaise, m’ont vraiment donné l’envie de l’étudier sérieusement et même de tenter l’aventure au pays du soleil levant. Je suis resté membre de cette association pendant bien des années, à organiser des sorties touristiques, sportives et culturelles ainsi qu’à aider nos étudiants avec leurs soucis quotidiens.
De retour à Lyon, j’ai bien étudié le japonais, tout en profitant de la vie universitaire et ayant de bons résultats, j’ai pu profiter du système d’échange universitaire pour partir au Japon pour la première fois et y effectuer ma seconde année de maîtrise LEA, ma dernière année de ce cursus. J’ai atterri à l’université nationale de Yokohama en 2005, où j’ai étudié les langues ainsi que les autres matières de commerce international. Le matin, les cours de japonais étaient donnés en japonais par des professeurs japonais et l’après-midi, les cours de spécialités étaient donnés en anglais par des professeurs non-japonais, pour la plupart.
Mes camarades venaient des quatre coins du monde et la vie en résidence sur le campus était très excitante et intéressante. Seul problème, en arrivant, il m’était difficile de m’exprimer à l’oral en japonais même si je comprenais ce que les gens me disaient et que je pouvais lire correctement. Cela reflète un problème assez général de l’apprentissage des langues, axé sur la grammaire et l’écrit, avec peu de pratique orale. Heureusement, mon meilleur ami, mon fidèle dictionnaire électronique, ne me quittait pas. Je préparais mes phrases à l’avance, lorsque j’avais besoin d’aller à la poste ou à la banque pour y ouvrir un compte, acheter un téléphone portable, mon abonnement Internet…
Il y avait aussi heureusement un système de tuteurs, de jeunes étudiants de l’université et un club organisé pour aider les étudiants d’échanges dans leur vie quotidienne. Cela me rappelait vraiment l’association de Chambéry, avec cette fois les rôles inversés. Je suis toujours en contact avec certains des amis que je me suis fait à cette époque, il y a déjà quinze ans.
Q : Pourquoi avoir choisi d’enseigner le français ?
R : Durant mon séjour, afin de gagner un peu d’argent, j’ai décidé de donner des cours de français et d’anglais dans des cafés et autres lieux publics, chose très courante au Japon. Cela a été le déclic qui m’a donné envie d’en faire mon travail. La motivation des étudiants, la richesse des échanges du fait de nos cultures et de nos personnalités différentes, et le sentiment d’être utile à quelqu’un étaient encore plus gratifiants que l’argent gagné.
Après cette année d’échange, je suis rentré à Lyon, et ai immédiatement rejoint un Master 2 d’enseignants pour étudiants non-Francophones, le fameux FLE. Toujours dans cette magnifique ville de Lyon, que je conseille à tous, je suis cette fois allé à Lyon 2 dans la section éducation et littérature. Avec mes camarades français et de divers pays d’Europe, nous y avons passé six mois pour apprendre la théorie puis nous avons effectué un stage dans une école de langues afin d’obtenir une première expérience concrète de l’enseignement et écrire notre mémoire.
Je suis donc retourné dans ma Savoie natale, dans l’école de français rattachée à l’université de Savoie, où j’avais passé une année avant d’aller à Lyon. On pourrait dire que la boucle était bouclée, retour au bercail, après quelques détours…
Q : À quel moment avez-vous décidé de retourner au Japon ? Quels ont été les obstacles à surmonter pour finalement vous y installer ?
R : En Savoie, je me suis occupé d’une classe de jeunes adultes chinois. Ce n’a pas toujours été facile et cette expérience sur le terrain a été extrêmement enrichissante, bien plus que toute la théorie possible.
Les hauts et les bas ne m’ont pas découragé et je suis resté enseigner dans cette école quelques mois tout en alliant petits boulots en usine afin d’économiser pour mon « retour » au Japon.
En effet, la vie en France, sans pouvoir ne pratiquer ni anglais ni japonais, me semblait un peu fade. J’allais petit à petit perdre mon japonais…
Après deux ans, début 2009, je suis revenu à Yokohama, où j’avais beaucoup d’amis, avec un visa vacances-travail. La région de Yokohama-Tokyo me semblait le meilleur endroit pour trouver du travail dans l’enseignement du français. Un ami m’a hébergé quelques semaines, le temps de trouver un emploi et un appartement.
Je n’aurais jamais pensé que trouver une place dans une école aurait été si difficile. La plupart des Français arrivant au Japon font ce choix et même avec le diplôme de FLE en poche, la compétition est rude. Je cumulais des temps partiels dans trois écoles différentes avec les heures dans les transports qui vont avec…
Autre difficulté, trouver un logement. Étant étranger, pas de famille pour se porter caution ou garant, la peur de l’agent immobilier qui pense que tous les étrangers sont des voleurs ou des barbares, j’étais confronté à beaucoup d’indifférence, de racisme et d’incompréhension de ma situation d’étranger. Je devais donc me résigner à louer un « meublé » de 15 m carrés, hors de prix et bien sûr, payé en avance pour la durée totale de la location.
Logement précaire, travail précaire, des mois assez sombres se profilent à l’horizon, sans parler de l’échéance du visa. Pour obtenir un visa de travail, à la fin du Vacances-Travail, des documents doivent être fournis par votre employeur et malheureusement, comme en France, certains employeurs vous traitent comme des stagiaires et ne veulent pas vous aider, les remplaçants se bousculent au portillon en bambou.
Pour les chanceux qui arrivent à trouver un sponsor pour le visa, le dossier doit être soumis à l’immigration et la possibilité d’être refusé est toujours envisageable. Heureusement, les Français sont bien aimés au Japon et nos deux pays ont de bonnes relations, ce qui apparemment facilite la chose.
Toujours est-il que beaucoup sont aussi « otages » de leurs employeurs pour obtenir le visa de travail. Les employeurs, connaissant leur position de force, n’hésitent pas à imposer des conditions de travail difficiles. J’ai mis plus d’un an à arriver à avoir un salaire « correct » de 1300€ mensuels, ce qui est très maigre dans la métropole, le loyer en coûtant déjà la moitié…
Q : Quel est votre expérience de l’enseignement au japon ?
R : Après trois ans dans les écoles de français, dans lesquelles je donnais des cours en groupe en utilisant des méthodes de français, des cours privés et des salons de discussion libre, j’ai décidé de tenter ma chance dans une entreprise japonaise, de devenir un « salaryman », un employé, avec l’attrait d’une situation plus stable, CDI et un meilleur salaire.
Après bien des recherches, des CV envoyés et des entretiens passés, je suis rentré dans une entreprise qui gère des restaurants. Je m’occupais de la traduction des menus en anglais, de cours d’anglais pour le personnel du bureau et des restaurants ainsi que de la communication pour les journaux et autres médias non-japonais. J’y suis resté seulement un an, pour ensuite m’installer à Shikoku, où je suis depuis.
Nous avons décidé de nous y installer pour y élever notre fille. Avoir des enfants coûte très cher à Tokyo et cela est extrêmement stressant. La poussette dans le train, les loyers exorbitants, le manque de place et les listes d’attente pour les crèches et j’en passe.
C’est cela qui nous a motivé, étant aussi tous les deux originaires de la campagne. Et la vie a été très différente, avec une voiture, un appartement beaucoup plus spacieux pour beaucoup moins cher, un coût de la vie (nourriture, transports) bien moins élevé.
Étant impossible de vivre du français à la campagne et en en étant conscient, j’étais prêt à faire n’importe quel emploi, mais j’ai réussi à en trouver dans l’enseignement de l’anglais cette fois.
Mais l’école de langues dans laquelle je suis entré ne me permettait pas d’enseigner l’anglais, n’étant pas ma langue maternelle. J’ai donc eu un poste de « conseiller », c’est-à-dire faire tout le travail de bureau ainsi que toutes les tâches que font les employés japonais.
Six mois après, j’ai pu devenir manager de l’école, et j’y suis resté quatre ans à m’occuper d’une équipe de sept personnes et d’environ une centaine d’élèves, enfants et adultes.
Ne pouvant plus monter plus haut dans l’entreprise et en ayant fait le tour de tout ce qui y était possible, j’ai décidé de me mettre à mon compte et de créer ma propre école de langues, où je pourrais enseigner le français et en grande partie l’anglais de la façon que je souhaite. Nous avons fait construire notre maison avec ce projet en tête, après avoir réussi à convaincre mon épouse de cette nouvelle aventure. Les Japonais sont très friands de stabilité, et le rêve de beaucoup et de devenir fonctionnaire ! Autant vous dire que je me suis senti seul contre tous une fois de plus.
Ma femme, sa famille, mes collègues, mes parents, mes amis japonais… Chose étrange, seuls mes amis étrangers qui avaient goûté à l’entreprise japonaise m’encourageaient, haha ! Les gens pensent que c’est un risque de se mettre à son compte, certes, mais il faut savoir réduire les risques au minimum et bien se préparer pour ne pas échouer.
La sauce a pris assez rapidement, étant en dehors du centre-ville, avec des prix raisonnables, dans un quartier avec beaucoup d’écoles, donc une forte demande en cours d’anglais.
Et cela fait cinq ans que je fais cela en majorité à la maison, dans des centres culturels en ville, sachant toutefois que 80% de mon activité est l’enseignement de l’anglais des primaires aux étudiants d’université et quelques adultes, pour leur travail ou leurs loisirs.