Entretien avec Yves : L’escrime m’a aidé à lâcher prise.

Q : Qui êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?

R : Bonjour, je m’appelle Yves. J’habite à Grenoble. Je suis sans activité, je fais du sport que j’ai pratiqué à haut niveau.

Q : Quel a été votre parcours de vie jusqu’ici ?

R : Mon parcours a été assez chaotique, marqué par la question de l’acceptation du handicap : ne pas pouvoir voir la nuit, la difficulté face à certaines activités, le fait de ne pas pouvoir faire de sortie en tant qu’adolescent… En fait, je me suis pas mal mis en retrait par rapport aux autres et c’est comme ça que je me suis mis au sport.

Pour mon parcours scolaire, j’ai décidé de m’orienter en fin de 3e vers un CAP BEP plomberie, chauffage, sanitaire. J’ai été en activité jusqu’en 2009, après quoi je me suis retrouvé en invalidité totale.   

Q : Justement, quel est votre handicap ? Comment s’est passée la transition au handicap ?

R : Je suis atteint d’une rétinopathie pigmentaire dont les premiers symptômes sont apparus à l’âge de 10 ans et se sont manifestés par le fait que je ne voyais plus la nuit. Ensuite, à l’âge de 14 ans, j’ai perdu du champ visuel, lequel s’est stabilisé jusqu’à l’âge de 25 ans. Après ça, j’ai connu une grande perte au niveau du champ visuel qui est désormais tubulaire.

Aujourd’hui, une cataracte s’est rajoutée par-dessus, donc je vois trouble. Les lunettes sont simplement là pour protéger des rayons UV grâce à des verres RT faits de 3 teintes : une claire, une foncée et une plus foncée encore.

Du point de vue de la transition d’une étape à une autre du fait de l’aspect évolutif de ma pathologie, je l’ai très mal vécue. À chaque fois, il faut tout réapprendre, et comme je n’ai jamais été en centre ou en école pour personnes déficientes visuelles, j’ai toujours réadapté mes sens à ma manière. Et ce n’était pas toujours la bonne…

J’ai adapté mon logement ainsi que mes sorties avec la canne blanche qui, couplée au champ visuel qu’il me restait, rendait mes déplacements beaucoup plus agréables. À l’approche d’une rue, d’un feu de signalisation, j’étais encore capable de voir s’il était vert ou rouge.

Je ne me suis pas tourné vers une association. C’est mon ophtalmologue qui m’a parlé d’un centre de réadaptation fonctionnelle, l’Aramav, qui se trouve à Nîmes. Là-bas, on y apprend la locomotion, l’ergothérapie, le toucher, mais aussi à développer son ouïe.

J’y suis resté 4 mois en 2016, une durée qui a été décidée en fonction de mon état de l’époque, de l’organisation que j’avais déjà… Il m’a fallu apprendre à ne pas forcer sur la vue qu’il me reste pour éviter d’abîmer le champ visuel dont je dispose encore, éviter d’utiliser l’ordinateur avec l’écran blanc, et ainsi de suite. C’était tout une adaptation que je ne connaissais pas auparavant et que je n’acceptais pas de toute façon, de sorte que j’étais pas mal ralenti dans cet apprentissage. Je refusais et je me terrais dans le sport, au point que je m’entraînais trois fois plus que maintenant. Le sport a vraiment été un refuge pour moi. Même maintenant, quand je ne me sens pas bien, je m’entraîne deux ou trois heures et ça va mieux. Surtout en ce moment, parce que je suis stressé à cause d’une dégradation de ma vision sur l’œil droit.

Aujourd’hui, j’utilise la canne blanche, je ne lis pas le braille mais je me sers des synthèses vocales, tout en éclairant quand même le texte pour continuer à stimuler mon champ visuel. Je dois dire que la canne est plus souvent rangée dans le sac que dans ma main. 

Q : Vous étiez donc très sportif, quelle était votre relation au sport ? 

R : Je pratiquais l’haltérophilie, la force athlétique. Je m’y réfugiais, à essayer de dépasser mes limites. J’ai fait de la compétition de haut niveau et je pratiquais tous les 4 jours environ, alors qu’aujourd’hui ça peut être du lundi au dimanche parce que j’ai un vrai besoin d’évacuer. Il faut que je me sente endehors de mon corps. C’est ce qui s’appelle l’endorphine. Une fois que j’ai atteint cette endorphine, c’est fini, ce n’est plus moi.

À l’époque, je pratiquais avec un coach, mais maintenant je vais à la salle en loisir avec mes connaissances. Ça fait quand même 32 ans que je pratique donc je sais ce que je dois faire et comment le faire. Et puis j’ai découvert l’escrime.

Q : Comment avez-vous découvert l’escrime ? Où pratiquez-vous ? Comment avez-vous trouvé un maître d’armes ?

R : Quand j’étais au centre de réadaptation, je ne voulais pas être là. Les premières semaines, je n’ai pas accroché. J’étais constamment dans le monde du handicap, à côtoyer des gens avec toutes les maladies de la basse vision. Ça m’a beaucoup gêné.

Mais ensuite, on m’a proposé de faire de l’escrime. Je ne savais pas ce que c’était. J’ai ainsi découvert l’escrime en déficient visuel. Il faut savoir qu’avant, je ne faisais confiance à personne, je ne voulais pas qu’on me dirige, qu’on me donne la main. Mais l’escrime m’a aidé à lâcher prise. Le maître d’armes avait une voix à laquelle j’ai accroché. Et moi qui ai fait du sport à haut niveau, le fait qu’il me donne des directives, qu’il me pousse encore et toujours pour m’améliorer, ça m’a plu.

Durant ces stages, j’ai appris à être dans le noir total sous bandeau comme tous ceux qui pratiquaient ce sport. Grâce à ce maître d’armes, j’ai vraiment avancé, alors qu’au cours des 4 premières semaines au centre, je n’avais pas pu vraiment progresser sur quoi que ce soit. Je bannissais tout ce qui touchait au fait de rendre accessible sa maison, au matériel adapté… Mais réussir à faire confiance à quelqu’un pour me laisser être dirigé les yeux bandés, c’était un grand pas. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à explorer.    

Q : Qu’est-ce que cela représente de pratiquer l’escrime en étant malvoyant ? Peut-on tout faire ? Que faut-il adapter ?

R : La pratique de l’escrime, c’est la garde, la position. Il y a des tapis qui sont surélevés au milieu pour se centrer puisque la piste fait 14 mètres. Sur le côté, un jalon permet de se positionner selon que l’on est droitier ou gaucher. Là, on sait qu’on est au bon endroit pour démarrer. Ensuite, on avance en effectuant les pas et la gestuelle appris. On apprend à se servir de tous ses membres, ce qu’on ne fait pas habituellement quand on s’initie en étant voyant. Quand on voit, on s’appuie sur la vision et c’est tout. Alors que dans mon cas, j’ai appris que je pouvais me servir de tout mon corps, de mes pieds qui touchent le tapis aux multiples sensations que je peux avoir. Il s’agit en fin de compte de travailler dans l’espace.

Cela m’a permis d’aborder le deuxième mois au centre avec l’esprit ouvert. J’ai compris qu’ils étaient là pour m’aider, que c’était possible. En plus de l’escrime, je me suis familiarisé avec la mosaïque pour travailler l’ergothérapie. J’ai appris à travailler dans ma vue centrale en essayant de reproduire une photo sur la planche que j’avais devant moi.

L’escrime a ainsi fait en sorte que les 3 autres mois que j’ai passés au centre me soient vraiment bénéfiques dans mon apprentissage mais aussi vis-à-vis de ma relation avec le handicap.

Q : Pratiquez-vous sur Grenoble ? Faut-il une formation pour qu’un maître d’armes puisse enseigner à des personnes déficientes visuelles ou est-ce accessible à tout un chacun ?

R : Aujourd’hui je pratique toujours, sur Grenoble, mais en valide. Pratiquer en tant que personne valide ou en tant que personne non voyante, ce n’est pas pareil. Ne serait-ce que la garde qui est différente. Quand on est non voyant et qu’on pratique l’escrime, on est positionné à un certain intervalle de son adversaire que l’on apprend à sentir. Le corps se trouve dans un certain alignement, un pied en avant vers l’adversaire, l’autre pied tourné vers le mur. Et on avance de cette façon à l’aide de petits pas tout en remuant doucement le fleuret, l’épée ou le sabre de gauche à droite, pour toucher l’arme de l’adversaire. Une fois qu’on l’a touchée, nos sens prennent le relais pour déterminer ses prochaines positions. Et puisqu’on fait des pas en avant et en arrière, l’ouïe aide aussi à repérer où se trouve l’adversaire grâce aux sons produits par les pieds sur le tapis. C’est surtout le cas au début quand on a le pas lourd. Ensuite, on essaie d’être plus subtil !

Pareil pour déterminer l’emplacement de l’adversaire, ça passe par un toucher du fleuret. Quand le fleuret est orienté vers ma droite, logiquement mon adversaire est à gauche, etc. Une fois qu’on l’a touché avec l’arme, on enchaîne avec un pas en avant pour essayer de le piquer, et ainsi de suite. Ce sont des parades, des fentes, des figures qu’il faut connaître soi-même pour comprendre comment l’adversaire lui-même se positionne par de la représentation mentale.

Le maître d’armes qui m’a initié à l’escrime avait l’habitude de travailler avec des personnes en fauteuil, puis en 2015 ou 2016 il s’est tourné vers les personnes déficientes visuelles. XXX Je me sentais à l’aise avec lui. En valide, je ne le suis pas du tout. Je rate des touches, j’ai du mal à déterminer certains positionnements de l’autre personne… Si elle veut marquer des points, elle a tous les moyens de le faire.

Je pratique dans un club de Grenoble. Avant je retournais à Nîmes pour des stages, mais plus maintenant. C’est un peu loin ! Mais ç’a été dur de trouver un club qui accepte une personne non voyante. Je me suis heurté à de l’incompréhension. On me disait que j’avais un handicap lourd alors que j’étais quand même venu jusqu’à eux sans problème. Mais on m’a répondu que c’était trop compliqué, impossible. Pourtant, ce n’était pas une question de matériel puisqu’adapter la piste ne coûte rien. Ce qui était trop complexe pour eux, c’était la formation. À leurs yeux, la déficience visuelle est un handicap lourd qui, en plus, ne peut pas être présenté en compétition.

C’est après la première séance qu’ils ont vu que j’avais des compétences et qu’ils ont accepté que je fasse partie du club. Les personnes que j’y ai rencontrées par la suite n’étaient quant à elles pas fermées à ma venue, mais c’est moi qui ai dû m’adapter à elles et pas l’inverse.

Quant aux autres clubs, ils n’étaient pas plus ouverts. Rien qu’au son de la voix des personnes avec qui j’ai échangé au téléphone, j’ai compris que ça allait être compliqué. Du côté du handisport, il n’y a pas d’escrime proposée et les autres pratiques ne m’intéressaient pas. 

En ce qui concerne la musculation, je vais en salle. Je suis inscrit dans l’une d’elles mais j’en teste beaucoup. J’apprends à me repérer à l’intérieur en étant accompagné par une personne du personnel qui me montre la disposition du matériel.

Ma pratique actuelle, c’est la muscu du lundi au vendredi à peu près, et l’escrime deux fois par semaine. Certains jours, je pratique les deux. C’est toujours aussi libérateur.

Q : Pourquoi avoir accepté cette interview ? Quel est le message que vous voulez faire passer ?

R : Quand j’étais à Nîmes, le maître d’armes qui a vu que j’avais des compétences a appelé les clubs de Grenoble pour proposer des formations. Il offrait même de se déplacer directement dans les clubs pour étendre la pratique de l’escrime adaptée. Mais il s’est fait refoulé !

Il faut savoir que certains compétiteurs valides ont d’eux-mêmes décidé de se mettre sous bandeau et ils ont trouvé qu’ils avaient de bien meilleures sensations comme ça, au point de pouvoir sentir le fleuret ou l’épée jusqu’au bout grâce à l’alignement du corps dans son ensemble.

Si j’ai accepté de partager mon expérience, c’est parce que le sport et l’escrime en particulier m’ont permis de faire un grand pas vis-à-vis de la maladie. Il faut ouvrir les esprits et il faut que les gens changent, qu’ils comprennent qu’on est tous pareils même avec nos différences.

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