Q : Comment l’idée de traverser le désert bolivien du Salar d’Uyuni a-t-elle été lancée ? Quel est l’origine du projet ?
Ce projet m’est tombé dessus, en réalité. Ce n’était pas un choix. J’ai coutume de dire que ce n’était pas un projet personnel parce que Michel, ce formateur avec qui j’ai sympathisé et qui a été mon collègue, après son projet du Dakar, a eu l’idée de traverser le désert tunisien en autonomie complète. Il fallait alors développer un GPS adapté alors qu’à l’époque, très peu de choses de ce genre existaient.
À l’origine, je devais l’assister sur la partie technique, sur les réglages, et ainsi de suite, ce qui fait qu’on se voyait énormément. Malheureusement, il est décédé avant de pouvoir mener ce projet à son terme.
Ce type de projets faisaient partie de la dynamique de l’association. On s’est alors retrouvés et on s’est demandés ce qu’on allait faire : est-ce qu’on arrêtait ? Est-ce qu’on continuait ? C’était dommage qu’il se soit autant investi pour que ça s’arrête maintenant..
On s’est accordés en se fixant l’objectif que le jour où quelqu’un voudrait mener ce projet à bien, on l’accompagnerait.
C’était en 2011, ma condition physique n’était pas très bonne. J’étais introverti, sportif mais pas dans cette optique. Mes problèmes de santé ont duré trois ou quatre ans. Mais un jour, un samedi après-midi, j’étais devant la télévision sur mon canapé, je devais regarder un documentaire. Le documentaire s’est terminé, j’ai éteint la télé, je suis resté sur le canapé et à ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, des images du Salar d’Uyuni me sont revenus.
Une stagiaire que j’avais eue à l’Institut était en effet bolivienne et elle était responsable d’une agence de tourisme. Elle m’avait montré des photos de la Bolivie et du Salar. J’avais eu envie d’y aller en touriste. Et je ne sais pas pourquoi, j’ai repensé, cet après-midi-là, au projet de Michel. Je me suis demandé pourquoi ce ne serait pas moi qui reprendrais son projet. Mais au lieu de le faire en Tunisie, je me suis dit que ce serait là, dans le Salar bolivien.
Je ne m’étais pas demandé si c’était possible ou pas. C’était mon idée.
Puis mon épouse, partie avec les filles, est rentrée. Je lui ai dit : « Ça y est, je sais ce que je vais faire ! », comme une évidence. Je lui ai dit que j’allais partir en Bolivie, traverser le Salar, suivant le projet de Michel. Elle m’a regardé, pas très convaincue.
Il faut dire qu’à l’époque, peu de gens auraient misé sur moi. Je l’ai un peu mal pris. Et pourtant, c’était évident que je n’étais pas la bonne personne à ce moment-là.
Q : Ce n’était pas un petit projet. Comment vous y êtes-vous concrètement préparé ?
R : J’ai travaillé un peu en sous-marin. Je ne connaissais rien sur ce lieu, si ce n’était ce que mon amie m’en avait dit. Je me suis dit qu’il fallait que je me renseigne sur la géologie du Salar, mais aussi sur la météo et la géopolitique du pays. Il fallait que je sache à quoi m’attendre du point de vue du climat et de la sécurité de l’endroit où je comptais me rendre.
J’ai repris contact avec mon amie bolivienne que j’ai retrouvée en Australie. D’ailleurs, avec ce projet, j’ai rencontré des gens venant des quatre coins du monde. J’ai en effet cherché des retours d’expériences de personnes ayant effectué la traversée du désert, toutefois peu de gens l’avaient déjà fait.
Je commençais à y croire, je me préparais en parallèle. Petit à petit, je découvrais plein d’informations qui pourraient m’être utiles. Par exemple, on a réussi à récupérer les relevés météorologiques des dix dernières années. J’ai alors su qu’en journée, je pouvais m’attendre à une température de 20°c avec un ressenti qui était quasi le double, de même qu’à un temps très sec et à des vents forts mais plutôt d’une vingtaine de km/h, tandis qu’il n’y aurait pas de précipitations au moment de la traversée que je projetais de réaliser en juillet. Il y a effectivement deux saisons en Bolivie, la saison des pluies où le Salar se transforme en lac ; puis à partir du mois de mars, il s’assèche et devient un désert de sel.
On a aussi pu faire un relevé à partir du mois de juin pour savoir quelle trace je pourrais emprunter afin de l’entrer dans le GPS qui me guiderait. Celui-ci m’indiquerait le chemin à partir de sons spatialisés, lesquels me permettraient de me diriger. Il a en outre fallu que je trouve une entreprise développant un tel outil. J’ai pris contact avec l’entreprise GoSense à Lyon qui développait le Wizigo. Sans lui, ç’aurait été impossible de partir.
La nuit, les températures pouvaient descendre jusqu’à -18°c. Il fallait alors un équipement adéquat : un duvet grand froid, des vêtements de montagne puisqu’on serait à 3800 m d’altitude…
Il fallait aussi s’habituer à respirer. Cela impliquait de ne pas venir juste pour le projet qui devait durer sept jours. L’altitude, il faut s’y habituer, s’acclimater. Je suis donc arrivé une semaine avant le début de la traversée à proprement parler à l’aéroport de La Paz-El Alto, l’aéroport le plus haut du monde, histoire de passer deux/trois jours tranquille.
J’ai par la suite repris une activité physique mesurée au bout de 3-4 jours. Je suis alors allé sur le lac Titicaca pour joindre l’utile à l’agréable. J’ai recommencé à marcher, à faire de la distance. Ensuite, on avait réservé deux jours avant le départ pour faire une reconnaissance en 4×4. J’avais travaillé avec l’association pour avoir une équipe d’intervention en cas de problème. C’est cette équipe qui m’a permis de faire le trajet et de s’arrêter à certains endroits pour aborder des spécificités du lieu, notamment les Ojos del Salar qui sont des trous remplis d’eau, plus ou moins grands, généralement de 15 cm de diamètre et de profondeur, parfois recouverts d’une croûte de sel et dans lesquels ont peut se tordre la cheville.
Mais parfois, ils peuvent faire 50 cm de diamètre et de profondeur avec des cristaux de sel qui peuvent lacérer la peau. Et d’autres fois encore, ils vont jusqu’à 1 m de diamètre avec une profondeur que je n’ai pas pu estimer. Pour donner une idée, ma canne blanche qui mesure 1m45 ne touchait même pas le fond, même en y mettant tout mon bras. Il s’agissait des zones relativement référencées car quand ils ont fait le relevé, ils ont repéré ces zones à trous.
Le Wizigo me prévenait à leur approche, et ainsi, je changeais de technique de déplacement. J’utilisais des bâtons de marche et dans ces moments-là, je venais frapper le sol en balayant et en tapant, un peu comme avec une canne blanche, pour voir si le sel résistait et si je pouvais avancer.
Je devais également prendre en compte que le sel est un élément changeant, parfois très dur, parfois en vaguelettes, parfois poudreux. Donc beaucoup de préparation, de retours d’expérience à étudier, de rencontres à faire pour parer à toute éventualité.
J’ai notamment rencontré trois personnes qui avaient fait cette traversée, dont un seul qui l’avait fait en suivant mon parcours, Louis Philippe Loncke. C’est lui qui m’a transmis le tracé du parcours ainsi que beaucoup d’informations. Quand Louis Philippe Loncke a traversé le désert la première fois, il a abandonné. Sachant qu’il est un habitué de ce type d’aventures, en témoignent ses traversées du désert de Simpson et de la Vallée de la Mort… Alors quand j’ai su qu’il avait échoué, ça m’a un peu inquiété. Mais il y avait une explication, il me l’a expliquée, et j’ai donc pu me rassurer. Il a été une mine d’informations importante.
C’était donc trois ans de préparation pour comprendre tout ce que la traversée pouvait comporter. En outre, je n’étais pas suicidaire, j’avais une famille, il ne s’agissait pas d’y laisser ma peau. Je suis d’ailleurs parti avec un médecin français en plus de l’équipe d’intervention qui elle-même pouvait théoriquement intervenir dans l’heure. J’avais un outil satellitaire avec une balise et un tracking, de sorte qu’ils savaient toujours où j’étais positionné. Mais la nuit par exemple, les premiers jours, ils étaient à 2h30 de marche de moi.
La difficulté n’était pas la distance car 20 km par jour, ce n’était pas grand-chose pour moi. Mais le plus dur était le portage puisque j’avais décidé que j’allais être en autonomie. J’avais donc 8 kg de nourriture lyophilisée, 21 l d’eau (3 l par jour), le matériel électronique entièrement doublé au cas où un outil serait défaillant (batteries, GPS, téléphone…), de l’outillage, mon chariot de trek, donc 20 kg sur le dos + 35 kg sur le chariot, le matériel de bivouac (réchaud, tente…)… En tout, je transportais 55 kg et je ne suispas quelqu’un de carré, grand quoique plutôt fin. Ce n’était pas gagné.
Q : Vous avez donc consacrer trois ans à vous préparer et à vous entrainer. Pouvez-vous nous donner une chronologie du projet afin de bien se rendre compte de l’ampleur de l’aventure qui se profilait ?
R : Il s’est écoulé une bonne dizaine, presque une quinzaine d’années, entre le moment où Michel en a eu l’idée et la réalisation effective du projet. Il a en eu l’idée aux alentours de 2005. Moi je l’ai fait en juillet 2018.
Q : Quel en était l’objectif ?
R : L’objectif était vraiment de sensibiliser au handicap visuel, de dire qu’aujourd’hui, il faut ouvrir le champ des possibles. Ce n’est pas parce qu’on a un handicap qu’on est restreint dans tout. On l’est effectivement dans pas mal de choses du quotidien, mais pour autant, il y a tout un tas de possibilités qui nous sont ouvertes et en y réfléchissant, on peut nous-même mettre des stratégies en place pour qu’elles deviennent possibles.
Personnellement, je me suis souvent dirigé vers des sports qui ne dépendaient pas de clubs handisports. C’était bien sûr parce que ma pratique me le permettait, tandis que certaines pratiques nécessitent d’être adaptées. Mais mon idée était que ce soit le plus inclusif possible.
Ce projet-là devait être un vecteur de communication qui nous permet, encore maintenant, de montrer aux déficients visuels qu’il y a d’autres possibles. À eux, mais aussi aux employeurs, aux institutions…
À nouveau, au-delà de ce projet, il fallait pouvoir communiquer, échanger, entrer en relation avec des personnes. C’est ce qu’on fait aujourd’hui, ce qui prouve qu’on a gagné notre pari.
Q : Après tout ça, pourquoi ne vous considérez-vous pas comme un « aventurier » ?
R : Je n’ai pas l’âme d’un aventurier. J’ai un quotidien qui est plutôt celui de tout le monde. J’ai des activités, des loisirs, une vie de famille, un emploi. Je ne pars pas chaque année trois mois dans des contrées reculées. Mon idée à la base n’était même pas de faire plusieurs aventures. J’étais parti pour faire seulement la Bolivie, même si derrière il y a eu le Marathon des Sables qui n’est pas une épreuve d’aventuriers par ailleurs.
C’était une épreuve sportive, une opportunité qu’on m’a offerte puisqu’un organisateur m’a invité suite à l’aventure bolivienne. J’étais à l’hôtel, le lendemain de l’arrivée, quand on m’a appelé pour travailler sur une vidéo promotionnelle autour de leur gamme de matériel spécifique pour le marathon. L’idée était de solliciter des personnes qui ont une certaine aura et qui pourraient porter les valeurs de leur équipement. Puis, quand on s’est rencontrés, on a échangé et on m’a demandé si cela me tenterait de participer au Marathon.
Ma première impulsion a été de dire non. Je n’étais pas partant. Mais je me suis dit que c’était dommage, ce n’est pas quelque chose qu’on vit tous les jours. Alors j’ai foncé.
Mais depuis, je n’ai pas fait 36 expéditions. J’ai pris la présidence de l’association alors que je n’étais que membre au moment de ces projets. Je ne voulais pas être juge et parti dans le Conseil d’Administration. Je me verrais mal aujourd’hui repartir sur un projet de cette envergure alors que je suis dans le Bureau.
Mais on peut porter d’autres personnes. C’est d’ailleurs ce qu’on fait, on est pas mal sollicités. Je ne peux pas trop en dire, mais en tout cas, ce ne sera pas moi.
Q : Avez-vous bénéficié de sponsors ou de partenariats pour financer le projet et lui permettre de voir le jour ?
R : C’était un projet plutôt coûteux parce qu’il y avait les déplacements à prendre en charge. Je partais en effet avec un médecin français et rien que les billets d’avion représentaient un budget.
Il fallait aussi acheter tout le matériel spécifique. Pour donner un exemple, le duvet grand froid vaut à peu près 500€ et le chariot de trek 1000€. Il s’agissait aussi de pouvoir se procurer tout ce qui est spécifique, les communications satellitaires… Tout coûte cher.
C’est pourquoi on a fait appel à des partenaires, on n’a pas couvert intégralement les frais. On essaie toujours de toute façon de d’être soutenus, comme par exemple sur le Marathon.Même si on avait l’invitation de l’organisation, on avait à prendre en charge les frais des billets d’avion, de l’équipement spécifique… Donc, au total, c’était un budget assez imposant. Là, on l’a financé intégralement avec des partenaires.C’était plus facile d’en trouver sur un tel événement.
En plus, je ne m’étais pas fait un nom à cette époque-là. J’étais quelqu’un de pas très sûr de moi. Ce projet m’a complètement changé. Aujourd’hui, je suis plus confiant, je sais que si je pars sur un projet, c’est que je l’ai travaillé et que j’en suis capable.Du coup, pour en parler c’est plus simple, on est plus crédibles. Je suis prêt pour parer aux questionnements qui peuvent se poser et à y répondre.
Q : Avez-vous été suivi sur le projet du Salar d’Uyuni ? Pour quel résultat (vidéos, articles…) ?
R : Avant le projet, j’ai eu du mal à communiquer autour de tout ça. Je n’étais pas suffisamment sûr de moi, j’y croyais sans y croire. J’ai eu des partenaires, mais pour en parler plus, il y a eu quelques articles dans la presse locale. Mais c’était somme toute assez limité.
Ce qui nous a donné un coup de pouce, c’est quand on est arrivés en Bolivie. Dès qu’on a posé le pied sur le sol bolivien, on a été accueillis par notre équipe d’intervention et en sortant de l’avion, on nous a dit qu’ils avaient une surprise pour nous. Les portes se sont ouvertes sur des caméras, des appareils photo… J’ai été présenté au Ministre du tourisme. Il nous a invités à une conférence de presse au Ministère durant laquelle on a rencontré des journalistes.
Là c’était parti, on était en plein dans la communication. Je n’avais pas eu d’autres choix que de m’y mettre.
Puis on a été assez tranquilles, on avait 2-3 télés au cours de la première semaine. Quand je suis parti pour la traversée, je n’ai pas été suivi au jour le jour. J’avais réussi à avoir un duplex avec France Inter le troisième jour par communication satellitaire. Le septième jour, le matin, Télé 5 Monde a contacté l’association en France car ils souhaitaient avoir un duplex. Je les ai eus avant de partir. Il y avait déjà une petite couverture médiatique.
En France, c’était les seules choses qu’il y a eues sur le moment. Après, France 2 a fait quelque chose au JT du matin. Je n’étais même pas au courant. Différents journaux ont également parlé de nous, tels que Paris Match, CNews, Libération…
Mais c’était surtout à l’international que cela a été énorme. Le Ministère du tourisme bolivien a largement communiqué par communiqués de presse. Il y a donc eu des parutions en Australie, aux États-Unis ou encore en Angleterre.
Q : L’engouement qu’il y a eu autour du projet était-il recherché ?
R : À ce niveau-là, ça m’a dépassé. En général, pour les articles parus, je n’ai pas été contacté par les journalistes. Le Ministre m’a dit que le Salar est pour la Bolivie l’équivalent de notre Tour Eiffel. Il est un vecteur pour faire venir des touristes en Bolivie. C’est pour cette raison qu’il a saisi la balle au bond et a communiqué autour ainsi que sur le handicap.
Q : En quelques phrases, pouvez-vous nous parler de vos autres expériences ? De quelle façon vous ont-elles marqué ? Qu’en avez-vous retiré ?
R : Mes deux expériences m’ont marqué par les difficultés rencontrées. Quand on se lance là-dedans, on sait que ça va être difficile. Par exemple, les premiers jours en Bolivie, j’ai galéré avec l’outil GPS, j’avais du mal à faire la distance prévue. Là, forcément, on doute, on est seul, on se dit qu’est-ce que je fais là. Et puis les jours passant, ça va mieux. Pour raconter une anecdote, la nuit du deuxième au troisième jour, j’étais dans ma tente. À 16h, j’avais monté mon bivouac, à 18h j’étais dans ma tente à faire les checks matériels, médicaux, à me reposer.
Vers 22h, des bourrasques commencent à se lever, donnant des à-coups. Vers minuit, c’est un déluge total. Un ancrage de la tente s’arrache. La tente commence à flotter. Je suis seul, l’équipe est à 2h30 de là où je me trouve. Si la tente s’envole, je devrai faire face à -10°c.
Je suis mal.
Je me dis que j’ai 55 kg de matériel, si je mets tout ça sur le revers de la tente, ça devrait tenir. Je retourne me coucher mais ça ne tient pas longtemps. En fait, j’ai fini par tenir ma tente jusqu’à 4h du matin.
Puis plus rien, tout s’arrête. Le bruit, c’était comme une fusée qui décolle. C’était très angoissant. À 4h, je retourne me coucher. Je suis réveillé par la toile de tente contre ma joue. Je me dis qu’il y a un problème. J’entends des gouttes tomber alors que la saison des pluies n’est pas à cette période. Il faut savoir que dès qu’il pleut, l’eau s’accumule. Mais en fait, ce n’était pas de la pluie qui tombait mais de la neige. Au bout du compte, il y a eu une tempête de neige de 6h à 14h ce jour-là.
J’ai marché quand même. Mais ce qui était étonnant, c’est que la neige au contact du sel fond tout de suite, alors que sur la tente il y avait de la vraie neige.
Mon épouse qui était en vacances avec les enfants pour leur changer les idées, suivait mon tracking. Elle a vu que le positionnement était en étoile. La réception satellitaire était très mauvaise, les points très imprécis. Elle s’est dit que j’avais oublié la ligne de vie qui me permettait de sortir de ma tente et d’y revenir sans problème. Elle a appelé mon équipe. Tout le monde se demandait où j’étais.
L’équipe est venue me retrouver sur place. Les Boliviens étant très croyants, ils m’ont dit que je n’aurais pas dû dormir sur le Salar, que j’avais réveillé les Esprits. En plus, ce jour-là il y avait le duplex avec France Inter : quand j’ai décroché le téléphone pour répondre à leur appel, tout est tombé en panne dans mon matériel. C’était une journée de galères. Les autres ont crevé deux fois, on a été obligés de sortir du Salar car d’autres tempêtes s’annonçaient.
Lors de ma deuxième aventure, sur le Fuerteventura, il y avait un passage à flanc de falaise, sur une corniche à mi-hauteur et qui faisait la largeur d’un pied. On a dû marcher sur près de 2 km comme ça, sans rien pour s’attacher, la falaise sur notre droite et à gauche, le vide. Ce sont des moments dont on se rappelle bien.
Qu’est-ce que j’en sors ? Plein de moments formidables qui resteront gravés, une aventure humaine comme on en vit très peu dans ce qu’on peut vivre au quotidien, mais dans ce qu’on peut vivre aussi de partage avec les gens, avec les guides de la Fertue ou avec l’équipe de la Bolivie. On est restés en contact, on échange toujours. Après la deuxième nuit dans le Salar, on était tous des réfugiés au pied du volcan Tunupa, ils ne pouvaient pas rentrer à leur hôtel ou chez eux. Ce sont des moments forts qu’on n’oublie pas.
Q : Pour finir, avez-vous des projets actuels et futurs, seul ou avec l’association ?
R : L’association a beaucoup évolué. Notre créneau au départ était de mener des projets comme ceux-là et de communiquer autour.
Aujourd’hui, on a pas mal de sollicitations. On fait des sensibilisations dans des écoles, on fait des conférences autour de « penser la différence », on essaie d’amener les gens à nous penser autrement, de casser les codes, les représentations qu’on peut avoir. J’aime particulièrement faire ça. On intervient sur des événements, sur des festivals autour du handicap, on est énormément sollicités par des grandes écoles (Polytechnique, Odencia, des étudiants en médecine dernièrement), sur des questionnements divers et variés, souvent des échanges qui ne sont pas des projets à long terme mais ce sont malgré tout des échanges riches.
Je suis très surpris qu’on ait autant de sollicitations. Mais tant mieux, parce qu’on est une petite association qui n’a pas l’ampleur des grandes associations nationales de malvoyants, ce qui montre qu’on a été identifiés.
On a mis en place depuis l’an dernier un accompagnement en Pair Aidance pour des personnes nouvellement malvoyantes qui souhaitent échanger autour problématiques du handicap avec des personnes en situation de handicap visuel. À cela aussi j’y tiens beaucoup.
On intervient auprès de différentes instances, le conseil handicitoyen de ma commune, ou là où on nous demande.
L’association a vraiment évolué. Aujourd’hui, on est une trentaine d’adhérents et on espère encore se développer. Ce qui nous manque surtout, c’est quelqu’un chargé de la communication pour étoffer cet aspect de l’association.
Concernant des projets futurs, ce serait mentir que de dire que je n’y réfléchis pas. J’en ai l’envie mais pour le moment, je ne les rattache pas nécessairement à l’association. Je vais essayer de faire des choses pour moi. Par exemple, au mois d’août dernier, j’ai fait un saut à l’élastique.
En outre, l’association a des projets en parallèle tel qu’un documentaire actuellement en cours de montage, initié par la réalisatrice Corinne Falhun qui a souhaité faire un film d’auteur sur ce qu’elle appelle « la période de conversion », c’est-à-dire la période durant laquelle on perd la vue. On a réalisé une vingtaine de jours de tournage pour un documentaire d’une durée de 52mn et qui sera diffusé début 2022. Cependant, on ne sait pas encore sur quelle chaîne il sera diffusé, c’est encore en cours de négociations.
Autour de l’image aussi, on a d’autres projets types documentaires qui ne sont pas encore aboutis. Puis des projets de participations à la radio ou à la télé. On essaie de continuer à communiquer et à échanger autour du handicap sous différentes formes.
Enfin, pour revenir au roller, je ne m’y connaissais pas du tout quand le club près de chez moi m’a sollicité, pourtant aujourd’hui, on a organisé un événement qui a finalement accueilli 25 patineurs déficients visuels. J’ai notamment fait patiner un quadruple champion du monde en lui mettant un bandeau sur les yeux. Ce sont des moments précieux. Et en même temps, on sensibilise d’une autre façon, d’une façon plus ludique, les personnes qui assistent à ces événements. En bref, on dédramatise le handicap.