Des voix, des vies, des récits inspirants
Une discussion autour de la liberté
CALLIE : Peux-tu te présenter en quelques phrases ?
MARIE : Pour des raisons de confidentialité, je m’appelle Marie Curlie. J’ai 44 ans et je suis IMC, j’ai une infirmité motrice cérébrale de naissance. C’est-à-dire que j’ai manqué d’oxygène à la naissance et une partie de mon cerveau ne fonctionne pas ou peu. L’autre partie, par contre, fonctionne à plein régime ! J’ai des soucis cognitifs du fait de ma prématurité. À six mois et demi, je faisais 1,305 grammes (comme ma mère disait, le détail est important !). J’étais un bébé qui à la base ne devait pas vivre. Aujourd’hui, je me suis bien rattrapée ! Mes pantalons pleurent ! (rire) Mon handicap fait que j’utilise un déambulateur. Je ne suis pas encore en fauteuil mais peut-être que dans les années à venir, c’est ce qui me pend au nez. J’ai du mal à passer le cap.
CALLIE : Pourquoi ressens-tu des difficultés à passer au fauteuil-roulant ?
MARIE : J’aime bien pouvoir marcher. Je n’ai pas fait tous ces efforts pour rien, ma famille n’a pas autant bataillé pour que je sois en fauteuil. Donc j’en suis encore à un cap que je dois passer. Je suis têtue, ce qui me sauve bien avec le handicap parce qu’il faut s’accrocher. Sinon, je suis mariée. Je me suis mariée en 2021, à ma petite étoile qui s’appelle Clément. J’ai 3 chats. Je n’ai pas d’enfant parce qu’on a fait le choix de ne pas en avoir au vu des difficultés qu’on rencontre au quotidien. On n’est pas obligés d’être forcément parents, on a chacun des virages de vie différents. Il faut suivre son cœur et faire avec ses possibilités. Et moi, je ne me voyais pas maman dans ma situation.
CALLIE : Tu veux nous en parler de cette situation ? Qu’est-ce qui a pu te freiner ?
MARIE : C’est le handicap de Clément qui évolue aussi. Il a la fibromyalgie, il est TDAH, autiste et il y aura peut-être un autre diagnostic qui sera posé. C’est pour ça qu’on s’est dits que les chats étaient suffisants. On a 3 boules d’amour. Curlie a 10 ans, c’est la mienne. Je l’ai eue quand elle avait deux mois. Après, il y a Titou qui a 4 ans. C’est le chat de Clément qui a voulu avoir la même relation que celle que j’avais avec Curlie. Et ensuite, on s’est fait un peu avoir. On a un trop grand cœur ! Car quand on a vu qu’un chat n’a pas pu être adopté puisqu’il était peut-être malade, on s’est dits qu’on ne pouvait pas ne pas lui donner autant d’amour. C’est Misty, elle est très énergique. Avec tout ça, il faut tout gérer, notamment les rendez-vous. J’ai des rendez-vous avec le kiné pour les contractures qui viennent avec le handicap. Il y a aussi les rendez-vous avec le médecin. Récemment, j’ai eu, en même temps que Clément, ma première injection de toxine botulique. C’est pour m’aider à me détendre. J’ai les jambes très tendues, on me donne un coup et ça part tout seul ! (rire) Donc c’est pour détendre les mollets.

CALLIE : Est-ce que tu as déjà constaté des résultats ?
MARIE : C’était un premier essai. Je suis devenue un peu plus souple. Bon, je ne pourrai pas me mettre la jambe derrière la tête, c’est sûr ! (rire) Mais déjà, le kiné, quand il fait les mobilisations, il le sent bien. J’ai aussi réussi à faire en sorte que Clément fasse de la mobilisation avec le même kiné. Le parcours de soin se poursuit avec un psychologue car avant mon histoire avec Clément, j’ai vécu une histoire un peu traumatique.
CALLIE : Est-ce que tu voudrais nous en dire un mot, sans rentrer dans les détails si tu ne le souhaites pas ?
MARIE : On va dire… une relation avec l’étranger. Une relation plutôt toxique. J’ai dû avorter pour ne pas qu’il obtienne les papiers français. J’ai aussi déménagé, changé d’adresse mail et de numéro de téléphone. C’est d’ailleurs pour ça que je ne peux pas donner ma vraie identité.
Maintenant, je me fais aider. Il faut que je me libère, j’ai droit à une vie. La vie doit continuer. Un mauvais chapitre ne définit pas toute notre vie.
CALLIE : C’est pour cette raison que la notion de liberté te tient particulièrement à cœur ?
MARIE : Oui, je me dis parfois qu’il faut savoir sortir du cadre. C’est marrant parce que les personnes en situation de handicap ne peuvent pas rentrer dans le cadre. La société n’est pas pensée pour elles. Au niveau de l’accessibilité, il reste beaucoup de choses à faire. Si on utilise le mot «inclusion», c’est que la société n’est pas réellement inclusive. J’aimerais bien qu’un jour, je n’ai plus à poser la question, en prenant un rendez-vous médical, de savoir si c’est accessible, si c’est adapté. Accessible, c’est pouvoir y aller par ses propres moyens. Adapté, c’est pouvoir être libre dans mes mouvements.
En 2025, la société n’est pas bienveillante envers les personnes dont le handicap se voit, et encore moins envers les personnes dont le handicap ne se voit pas. Clément en souffre beaucoup. C’est compliqué à expliquer, c’est pour ça qu’on voit des psychiatres pour que des diagnostics soient posés. Il a énormément de médicaments et je suis son aidante au niveau de la gestion du quotidien, et lui me complète bien.
CALLIE : Tu aurais des exemples de votre complémentarité ?
MARIE : Il est mes bras et mes jambes. Je suis petite, je fais 1,46m. Et demi ! C’est très important. (rire) L’association des personnes de petite taille m’ont dit que j’étais l’une des plus grandes parmi les petits. Clément m’a notamment aidée à me sortir de la situation dans laquelle j’étais, c’est lui qui m’a poussée à aller chez la psychologue. En me tenant la main, il m’a dit que j’étais en sécurité et que je pouvais parler. Et maintenant, je vais même voir un psychanalyste pour faire de l’EMDR. Grâce à du « tapping » sur les genoux, tu fais une vraie reprogrammation. Tu te mets d’autres phrases dans la tête. Et ça marche vraiment puisque je m’en suis servie lors des injections de toxine botulique. J’étais bien détendue ! J’ai même pu faire la DJ, j’ai pu choisir la musique et j’ai sélectionné U2.
CALLIE : Ça ne m’étonne pas ! (rire)
MARIE : J’adore l’Irlande. Je devais y aller mais je n’ai pas pu. J’ai fait deux voyages en Afrique qui ne se sont pas très bien passés. Parce que je n’ai pas eu de bonnes expériences, je voudrais m’en faire d’autres plus positives. Donc pourquoi pas l’Irlande ? D’autant qu’il paraît que les falaises de Moher sont magnifiques. Et peut-être que je verrai U2 ! J’ai déjà vu Coldplay. J’ai adoré parce que c’est un groupe très positif pour moi et que ce n’est pas facile tous les jours. Des choses se passent, Clément et moi devons encore voir des professionnels et on attend les diagnostics. En tout cas, le rôle d’aidante n’est pas facile.
CALLIE : Parle-nous de ce rôle d’aidante.
MARIE : Clément a une hémiparésie. C’est-à-dire qu’il a eu un AVC dans le ventre de sa maman. Ç’a causé pas mal de dégâts. Il s’est toujours senti très différent. C’est très dur aujourd’hui de vivre avec un autisme + un TDAH, et ainsi de suite. Et je trouve que la société hiérarchise les handicaps.
Il a beaucoup de difficultés au quotidien, et pourtant, au niveau du pourcentage reconnu par la MDPH, il se trouve entre 49 et 79% de reconnaissance. Alors que ses difficultés sont réelles.
CALLIE : Et que penses-tu de l’accessibilité actuelle ?
MARIE : Ce qui m’agace, c’est qu’on soit encore obligé en 2025 de toujours avoir à téléphoner pour savoir si le lieu dans lequel on doit se rendre est accessible ou pas. Le jour où je n’aurai plus à poser cette question, c’est qu’on aura franchi un pas. L’insertion est importante et si on doit autant le mettre en avant, c’est qu’elle n’est pas si efficiente.
CALLIE : Quelles améliorations devraient être mises en place à tes yeux ?
MARIE : Dans le domaine médical, c’est très difficile de trouver des spécialistes, des dentistes… J’ai eu à chercher un dentiste et j’ai fini par en trouver un. Mais la blague, c’est qu’il y avait bien un ascenseur, mais précédé de 3 marches. C’est dans ce genre de cas qu’on est très complémentaires avec Clément : il a porté mon déambulateur dans les marches que j’ai dû me débrouiller à monter pour atteindre l’ascenseur. Le pire, c’est que le cabinet du dentiste était tout neuf, il y avait même des toilettes handi ! Mais pour y accéder, c’était la galère. Un autre exemple : je devais faire une formation par le biais de Pôle Emploi. Je préviens que je suis en situation de handicap et que j’ai un
déambulateur. La personne panique un peu et me dit qu’il y a une marche. Je lui dis de ne pas s’inquiéter, qu’avec un peu d’aide, je peux me débrouiller. J’organise tout, je me fais emmener par les PMR (service de transports adaptés de Grenoble), j’arrive à l’heure. La dame m’aide à monter la fameuse marche. Elle était contente de ma venue puisque son rendez-vous précédent ne s’est jamais présenté. J’en profite pour lui faire remarquer que ça prouve que, même si une personne est handi, et même si je dois tout planifier et que ce n’est pas toujours simple, si on nous en donne les moyens, on peut faire les choses comme tout le monde. Elle me demande alors ce dont j’ai besoin dans l’entreprise. Je lui explique que j’ai besoin d’avoir un accès aux toilettes, à un ascenseur… Et là, elle me répond que finalement, ça va être compliqué, qu’elle ne pense pas que ça va pouvoir se faire. À ça, j’ai répondu que ce n’était pas grave, je me suis déplacée pour rien mais au moins, je lui ai montré que je n’étais pas qu’un CV, que les personnes handicapées ont envie de travailler quand elles le peuvent. Et si on leur offre la possibilité de le faire, elles le feront très bien. Au pire, elle se souviendra de moi.
CALLIE : Est-ce que parfois tu sens le jugement vis-à-vis de ton handicap ?
MARIE : Je cherchais un lieu de stage à l’époque. J’ai voulu le faire en tant que caissière à Sephora mais on m’a répondu qu’ils ne cherchaient pas de stagiaire. C’est vrai que je ne me maquille pas, je suis plutôt naturelle. Et puis le fait que j’ai de la dyspraxie fait que les petits gestes tels que mettre un collier sont difficiles. C’est une épreuve à chaque fois ! Pour en revenir à cette recherche de stage, une amie à qui j’avais raconté ça a voulu voir quelle serait leur réponse si elle aussi allait demander un stage chez eux. Et la réponse a été positive ! Mais mon maître de stage qui voulait me soutenir a dit à cette amie que, puisque c’était comme ça, personne n’irait faire de stage là-bas. Ça m’a fait mal. C’est parce que je ne me maquille pas et que j’ai un déambulateur que je n’ai pas le droit de faire un stage à Sephora ? La beauté, c’est quelque chose de très subjectif.
CALLIE : Est-ce que tu as l’impression que, du fait du handicap, on te retire ce droit à te sentir féminine ?
MARIE : On est jugés. Tout comme, pour les gens, les personnes en situation de handicap n’ont pas de sexualité, comme si on était asexués. Je me rappellerai toute ma vie d’un pourcentage que j’ai entendu, ce jour où j’ai pris un taxi pour aller dans mon centre à Lyon : on avait demandé à des gens s’ils pensaient que les personnes handicapées avaient une vie sentimentale et sexuelle. La réponse était « non » à 66%. Comme les gens qui me demandent comment ça se passe pour moi vu que je suis handi. À ces personnes, je leur répond : « Et toi ? ». Cette question, elle n’est pas bienveillante. Malgré tout, je suis contente d’être hors cadre et de pouvoir faire ma vie sans m’arrêter à ce que la société attend de moi. Je me suis mariée deux fois parce que je crois en certaines choses. Ça ne veut pas dire que tout le monde doit se marier. Beaucoup se marient et divorcent. Il y a plein de façons différentes de vivre l’amour. C’est nous qui nous connaissons le mieux. On m’a souvent dit que j’étais un Bisounours. Mais on n’est pas qu’une émotion. Il faut seulement savoir être tolérant, mettre de l’amour là où on peut. Quand on traverse des moments difficiles, c’est plus dur. Mais il faut toujours s’accrocher. C’est pour ça que Clément est ma petite étoile, il est arrivé à un moment où j’en avais besoin. Il était la lumière au bout du tunnel.
CALLIE : As-tu réussi à te libérer de certaines choses ? De quoi es-tu fière ?
MARIE : C’est sûr, je n’ai pas d’enfant. Mais j’ai des chats. Ce sont de bons antidépresseurs. Il faut faire du mieux qu’on peut. On ne fera pas des miracles, mais le but c’est de faire du mieux qu’on peut tous les jours. Je ne suis pas en compétition avec les gens. Je suis en compétition avec moi-même pour être meilleure. Il faut être doux avec soi et je pense que la première histoire d’amour qu’on doit avoir, c’est avec soi-même. Le regard des gens, il faut lui dire non. Le théâtre m’a beaucoup aidée là-dessus. Ça ne se voit peut-être pas, mais avant, j’étais timide. Comme je dis, il faut oser briller pour permettre aux autres de le faire. Leur dire que c’est possible. Ça prend du temps mais il faut être doux avec soi, être patient.
CALLIE : Qu’est-ce qui t’a menée au théâtre ?
MARIE : C’est Loriane*, une autre bénévole. Je l’ai connue à la suite d’un jour de l’an, à la veille de 2014. Elle m’a proposé de faire du théâtre avec elle. Et comme j’aime bien me lancer de nouveaux défis, j’ai dit « Pourquoi pas ! » On a également fait du théâtre d’improvisation avec Impro 38. Ça m’a aidée à sortir de ma coquille. J’ai aussi fait du bénévolat dans une association grenobloise (avant VAM). J’y ai pris la parole plusieurs fois et je n’ai pas voulu que ce soit la dernière fois. J’ai senti que c’était le moment, qu’il fallait parler. Il y avait d’autres associations pour fêter le 8 mars. J’avais fait un discours au sujet des violences faites aux femmes. J’étais galvanisée. J’en ai assez de ce qui se passe actuellement. Quand, par le passé, j’ai fait appel à la police pour signaler certaines choses, rien n’a été fait. Ce jour-là, lors de la prise de parole, j’étais portée par quelque chose. Il faut s’emporter pour ce qui vous touche. D’ailleurs, le 8 mars 2025, on joue une pièce de théâtre, avec l’association « Sortir du silence ». Il y aura également l’association « En parler » dont les bénévoles encouragent la prise de parole. La pièce porte sur les violences faites aux femmes et aux enfants. J’y tiens le rôle principal.
CALLIE : Comment appliques-tu cette bienveillance au quotidien ?
MARIE : Question philosophique. (rire) Déjà, je me dis qu’en parlant, j’aide des personnes à parler elles aussi. Il ne faut plus se taire. Ce n’est pas parce qu’on est en situation de handicap qu’on n’a rien à dire. Je vois que certaines minorités ont fait leur révolution. Je trouve que c’est important de s’impliquer dans des associations. C’est pour ça que je suis à Voyageons avec Mina. Il faut casser les codes, montrer que c’est possible. Dans l’asso où j’étais avant, je disais que je voulais mettre des paillettes dans la vie des gens. J’ai envie qu’ils soient heureux. Ce n’est pas toujours facile, le handicap c’est pas fun. Mais moi je fais du bricolage, j’improvise. Des fois je me loupe, des fois ça marche. Je suis encore en travaux. (rire) La plus belle rencontre qu’on peut faire, c’est avec soi-même. Il ne faut pas avoir peur d’aller à sa propre rencontre. C’est dans les épreuves qu’on connaît ses vraies forces. Je revendique le fait d’être « trop gentille ». Dans la société actuelle, mettre un peu d’humour, apporter quelque chose à quelqu’un, ça fait toujours du bien. Vous allez sourire à une personne, sans savoir ce qu’elle traverse, et ça va lui faire du bien. N’hésitez pas à faire chaque petite chose qui vous pousse à aller de l’avant. L’important c’est d’être en mouvement, peu importe la manière. Et en même temps, c’est assez marrant de dire de rester en mouvement quand on est handi. (rire) Mais justement, il y a plein de façons d’être en mouvement. Il faut faire les choses avec son cœur, avec spontanéité. Avec de l’humour, on arrive à dégivrer n’importe quel glaçon. D’ailleurs, en parlant d’humour, moi j’ai un rire qui, apparemment, fait son effet. (rire) J’aime beaucoup les enfants. Ils sont nature. Ils viennent et posent des questions. Les gens ne devraient pas avoir peur de venir vers nous. Le pire que vous pouvez craindre, c’est qu’on vous roule dessus ! Pour les femmes, vous pouvez être belles à votre manière. Ce n’est ni les autres ni le handicap qui doivent vous définir. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais soyez douces avec vous avant tout. Les tatouages sont importants pour moi. Ils sont le moyen que j’ai trouvé pour reprendre le contrôle de mon corps puisque je les choisis.

CALLIE : Quelque chose à ajouter ?
MARIE : Faites attention aux dangers d’Internet. Choisissez bien vos mots car il y a des mots qui peuvent construire, tout comme il y a des mots qui peuvent détruire une personne. Internet, c’est pas la vie réelle. On y trouve beaucoup de bonnes choses, mais aussi des mauvaises. J’aimerais qu’une forme de régulation existe pour protéger les gens. Même si vous vivez quelque chose de difficile, soyez doux, n’hésitez pas à demander de l’aide. Ce ne sera pas facile mais ensuite vous serez libéré.es. Et c’est là que se trouve votre force. L’union fait la force, comme on dit. Si vous parlez, d’autres parleront, et ainsi de suite, jusqu’à produire une belle boule d’énergie. Donc n’ayez pas peur de parler. Même si c’est pour raconter une blague ! Au pire, on la ressortira au repas du dimanche en famille. Mais parlez, parlez, parlez ! Le premier pas sera toujours le plus difficile, mais une fois lancé.e, n’ayez pas peur d’être la personne que vous souhaitez être.
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